Patience manuelle


La patience a une heure d’avance
ta main est dans ma main
dix petites collines à la barrière

fondent sur l’horizon grand

comme un mouchoir. Nous prenons

ainsi notre destin. En avance

sur le monde petit

qui s’agite nous nous retrouvons

et nous marchons moins vite

qu’au temps où il fallait courir

ralentis par une crise en sursaut

sur le terrain accidenté de nos

dix petites collines.
 
Extrait de LE CHASSEUR IMMOBILE, Ed. Le Citron Gare, 2014 (seconde édition en 2017)

Dérive



J’ai la mer à l’intérieur – un raz
éloigne ma dernière lanterne. Il est

aussi monstrueux que ce petit

bateau qui, comme une coquille de noix
évidée, s’enfonce dans des terres noires.

J’ai recours à la parole, lorsque je touche

le fond, en subtil marin de terre nauséeux qui parle
mouette et dont le polo rayé et amusé

est en train de sécher sur le fil du vent.

Fabrique


Tu me parles :

c’est le bruit

de tes talons sur

le carrelage. A chaque

rainure du sol que je

fixe par le carré de l’habitude

je dialogue avec

la nervure du dessin

issu d’une usine lointaine,

respire avec le fabriquant

haletant et reste de faïence jusqu’à

ce que cède le carreau cuit

quand tu claques la porte et

que je te suis des yeux à travers les murs.

 

A la fête



Par ici, on rit beaucoup — on se passerait

bien de parler des défunts

que furent ces jours chichement passés.

L’allumette nous mesure, la dernière cigarette

aussi, le Petit Bleu que je n’ai jamais goûté

pourrait bien être le dernier péché, par-dessus

les garde-corps : il tient dans un verre

et ne donne qu’un degré restreint du vertige

provoqué par l’idée que l’existence soit arrachée à la terre.

Rebours



Quand on secoue

la petite boîte bleue

un poids bouge en elle :

elle sonne. Nous sommes

morts dans cette vie-là,

n’est-ce pas. Nous vivons

aujourd’hui dans cette autre.

Cela résonne comme l’oubli

au risque de ne plus avoir

de mémoire du tout,

d’aller découvrir le poids et

d’ignorer la boîte et sa couleur.

 

Deux heures



La nuit au goutte à goutte

(il ne pleut ici que des étoiles)

le cœur du métronome

et une joie qui vient ronronner.

 

Dans mes mots j’avais choisi un jour

je t’aime et tout autre vocabulaire

félin fuyant maintenant jusqu’au fond

de la ville sous les petites lumières.

 
Ce soir, je suis là-bas

un instant, dans les mouvements

les voix et les rires des gens. Il est tard.

De ma terrasse sur les toits de zinc

je ne sais quelle heure choisir.

Facile



Il serait tellement facile

de te retrouver dans ce lieu

qui ne tient qu’au hasard.

C’est sans doute l’endroit

que j’imagine mais qui

n’existe guère. Pour le nommer

il me faudrait connaître

la géographie soudaine qui revient

à celui qui sait s’orienter sans jamais douter.

Ainsi, l’idée de te revoir attise

le désir d’une appartenance, le feu

d’un fantasme à la mesure de ma désorientation,

la cendre d’une banale rencontre à la mesure

de qui n’écrit pas s’il sait où aller quand il veut.

 

Lessive


Les pommes sur ton foulard
l’impression de revenir de ne voir
cet ocre qu’à l’occasion d’un été chaud
les voix dans les feuilles diffuses les pas
jusqu’à soi ; l’automne est dans l’été
et le foulard pendu à ton cou
se pend sur le fil à linge dont je me sers
comme ligne de conduite au-dessus du vide
des HLM plus hautes aujourd’hui qu’hier



Taylorisme



La chanson de mon usine

raconte que le ciel

n’existe que le samedi ou le dimanche

elle dit aussi

que les campagnes sont bonnes

à prendre pour y rêver

dans la mécanique horlogère de l’oubli

qui fait l’automate


Vivre



La terre s’étire quand passe le percheron

dans les sillons le monde ensemble se sépare

les hommes d’ici sont d’un exil à venir

Moi je me désespère de ne voir germer qu’un faisceau

de lignes noires et des bleus de travail, orphelin de terre


 Paru dans la revue Incertain regard, pour la première fois.
Poème inclus dans LA FIGURE DES CHOSES, éd. Henry, 2014

 

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